Hébergement au Parc Maximilien: dans les coulisses de l’opération d’hébergement des migrants

La Plateforme Hébergement compte 16.000 nuitées à son actif. - © Tous droits réservés

La Plateforme Hébergement compte 16.000 nuitées à son actif. – © Tous droits réservés

La nuit est tombée depuis deux bonnes heures. La lueur des lampadaires éclaire un coin du Parc Maximilien, situé près de la gare du Nord à Bruxelles. On y voit des ombres, des grappes de personnes qui attendent, accrochées à leurs sacs à dos. C’est là que Yoon Daix et la poignée de bénévoles de la Plateforme citoyenne se dirigent chaque soir pour organiser l’hébergement des migrants : »C’est toujours un peu impressionnant quand on arrive, de les voir dans l’obscurité. On se demande si on aura assez d’hébergeurs ce soir. Combien seront-ils ? Dans quel état ? Parce que l’on a aussi nos amis parmi ces petits gars. Donc il y a un mélange d’excitation, d’émotions et d’impatience ».

Une vie entre parenthèses depuis deux mois
Depuis un peu plus de deux mois et, avec le lancement de cette grande opération d’hébergement, Yoon et les autres bénévoles, Adriana, Mehdi, Clara, Thibaut ont mis une partie de leur vie entre parenthèses. Yoon explique : « J’ai terminé mon premier boulot à 17H30, juste le temps de prendre une douche, manger un petit bout, puis à 20H00-20H15, on est prêt à entamer cette deuxième partie de la journée – Vous travaillez dans quel secteur ? – Je travaille dans une société dans le domaine de l’énergie. Et je suis responsable des services clients. C’est tout autre chose, mais en même temps, ce que je vais faire ce soir nécessite beaucoup de « services clients », de « problems solving », de traitement des plaintes, de rassurer les gens donc je ne vois pas trop de différences sauf que ce soir, je n’ai rien à vendre ».

Yoon Daix, l'un des bénévoles de la Plateforme citoyenne - © Tous droits réservés

Yoon Daix, l’un des bénévoles de la Plateforme citoyenne – © Tous droits réservés

Les invités, des déboutés du droit d’asile ou des « cas Dublin »
Le rôle de Yoon est d’accueillir les familles qui hébergent, les chauffeurs qui parcourent Bruxelles, mais qui acheminent aussi les migrants dans le Brabant wallon, jusqu’à Namur, Liège ou encore dans le Hainaut. Il faut aussi accueillir les invités. C’est comme cela que tout le monde les appelle au Parc. Pour la plupart, ce sont des hommes, autour de la vingtaine. Le plus souvent, ils viennent d’Afrique de l’Est, Soudan, Erythrée, ou du Moyen-Orient, Libye, Irak. Leurs chemins sont différents mais ils font escale à Bruxelles parce qu’ils rêvent d’une même destination : « England », l’Angleterre. Cet Irakien nous explique son parcours dans un anglais sommaire : « Je suis resté deux ans à Calais. Calais a fermé, puis Dunkerque. Fini à Dunkerque, donc je suis arrivé en Belgique. Ça fait 8 mois que je suis dans le Parc, en Belgique. La Belgique ne donne pas de papiers aux Irakiens. Elle nous dit : rentrez en Irak, ne restez pas en Belgique. Parce que pour elle, l’Etat Islamique c’est terminé en Irak. Je veux donc aller en Angleterre. »

Autre parcours, autre témoignage : « J’aime vraiment la Belgique mais je ne peux pas y rester parce que j’ai mes empreintes digitales en Finlande et j’y ai reçu un avis négatif ». Certains ont donc été déboutés du droit d’asile ici ou ailleurs en Europe. D’autres sont ce que l’on appelle des « cas Dublin ». Leurs empreintes ont été enregistrées dans un autre pays européen et c’est à lui de gérer leur procédure. Jusqu’ici en Belgique, il n’existe pas de structure institutionnelle pour ces migrants sans titre de séjour.

L’hébergement citoyen contre les arrestations régulières
L’hébergement a donc commencé fin août. Medhi Kassou, l’un des bénévoles de la Plateforme citoyenne, remonte le temps : « Au début, on voulait héberger les dames, les personnes âgées, les personnes blessées. On ciblait principalement les personnes les plus fragilisées. Puis progressivement, les arrestations ont commencé à se rapprocher dans le temps. Au début, c’était deux fois par mois puis deux fois par semaine. Et puis une fois tous les jours ou tous les deux jours. Début septembre, on s’est lancé le pari un peu fou début septembre d’héberger tout le monde. On a commencé le premier soir en annonçant l’hébergement des hommes avec huit hommes qu’on a pu loger et puis ça a explosé de manière exponentielle, jusqu’à atteindre le paroxysme avec le « Opkuisen » de Théo Francken qui a indigné et donc mobilisé ».

Aujourd’hui, il n’y a plus d’arrestations aux alentours du Parc. La Plateforme citoyenne a obtenu « la sanctuarisation des attroupements provoqués par l’aide humanitaire, associative, citoyenne par la Ville de Bruxelles ». Mais en dehors de cela, selon Medhi Kassou « beaucoup de familles se plaignent de ne plus voir leurs invités, des personnes sont envoyées en centre fermé, arrêtées dans d’autres villes, dans les trains ».

On partage tout son quotidien, son univers, son emploi du temps

Au Parc, tout le monde patiente, souvent dans le froid avant que les choses ne se mettent en place. Les hébergeurs ont fait des propositions sur la page Facebook. Maintenant, on entre dans le concret, Yoon qui papillonne d’un groupe à l’autre et organise les départs en fonction des places disponibles. « Cela se fait au feeling » dit-il. « Généralement, on envoie des invités que l’on connaît dans les familles qui hébergent pour la première fois. Les familles qui hébergent plus régulièrement accueillent les nouveaux arrivés. On note les noms des familles et des invités », complète Medhi Kassou. Il y a donc les habitués. Et ceux qui viennent de sauter le pas. Comme Laure, elle a accueilli une première fois la veille, après trois semaines de réflexion : « En gros, on partage tout son quotidien, donc on partage son univers, ça veut dire ouvrir sa porte, la porte de sa chambre, sa salle de bain, son petit déjeuner, l’emploi du temps. Étaler ce que l’on a et ce qu’ils n’ont pas et donc c’est un contraste qui n’est pas facile à vivre et à appréhender ».

Souvent, quand les bénévoles quittent le parc, tous les migrants ont été logés. Certains soirs, c’est plus compliqué. Yoon Daix explique : « Quand on n’a plus de familles, on souhaite une bonne nuit à ces dizaines de personnes qui vont dormir dehors. Au début, on pleurait. Mais on s’endurcit. Ce sont eux qui nous consolent, eux qui nous souhaitent une bonne nuit ».

Depuis août, La Plateforme Hébergement enregistre plus de 16.000 nuitées. Les familles fixent elles mêmes leurs règles : le nombre de nuit, le nombre d’invités, ce qu’elles décident d’offrir, le petit déjeuner, une lessive, l’accès au wifi.

Publié sur la RTBF, le 18 novembre 2017